Le rôle de l'arbre
De l’ombre des jardins à la flambée dans l’âtre, de l’aspirine aux pneus d’avions, du bois de lit au papier, il y a peu de domaines de notre vie où l’arbre n’ait sa place, avec la discrétion qui le caractérise. Et s’il est à ce point notre partenaire dans l’entreprise souvent hasardeuse qu’est la vie sur la Terre, n’est-ce pas aussi parce que nous partageons avec lui d’impérieux intérêts : lumière et eau, fertilité des sols, espace et chaleur ?
Qu’est donc au fond ce compagnon quotidien ? Comment définir cette forme de vie extraordinairement ancienne, au modèle architectural aussi singulier que rigoureux, et capable de grandes prouesses ? N’oublions jamais ce que nous devons à l’arbre, qui nous a tant apporté et qui nous apporte encore tous les jours, mais qui reçoit si peu en retour. L'avions-nous oublié ? L’homme a contracté vis-à-vis de l’arbre une dette fondamentale. Notre héritage arboricole et sa rassurante et exemplaire présence à nos côtés font de nous des êtres plus humains.

L'arbre embellit les paysages, augmente l'attractivité du territoire, crée des biotopes.
Tant au niveau paysager, qu’au niveau de la biodiversité, l'arbre a un rôle important à jouer. Les arbres, bosquets, haies sont autant de biotopes favorables à la biodiversité: faune, flore, pollinisateurs, auxiliaires de cultures... En outre, ils contribuent à l’attractivité du territoire, à la beauté de l'environnement et au bien-être de chacun.


Différentes études (Agroof, INRA, contrat Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse) mettent en évidence la capacité de dépollution des arbres. Véritables filtres, ils limitent une partie de la lixiviation des nitrates, réduisant ainsi la pollution des nappes phréatiques. Cette fonction est particulièrement intéressante pour la gestion des zones de captage en eau potable. De plus, les systèmes racinaires des arbres améliorent l’infiltration du ruissellement, augmentent les remontées capillaires, limitent l’évaporation du sol et augmentent ainsi la réserve utile en eau des sols.
L'arbre améliore la qualité et augmente la quantité d’eau sur les parcelles

Ces dernières décennies, l’activité biologique s'est effondrée dans les sols agricoles européens, principalement à cause des pratiques culturales modernes (labours profonds et répétés, sols nus, pulvérisations de produits chimiques nocifs). Les conséquences sont importantes (perte de biodiversité, érosion des sols, chute du taux de matière organique) et contre-productives (nécessite de palier aux dérèglements biologiques par une lutte chimique qui aggrave les problèmes)
L'arbre préserve et régénère les sols


"Sol nu... ... sol foutu ! "
L’érosion des sols agricoles est due en grande partie à l'action de l'humain :
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les méthodes agricoles intensives, la monoculture, la culture en rang espacés, la mécanisation, le labour, le sol nu en période hivernale, les sillons dans le sens de la pente, etc ;
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le remembrement des années 1960, en France, a abouti à l'augmentation de la taille des parcelles et corrélativement à la suppression des haies (80 000 km de haies ont été arrachées en France), des talus et des fossés. Les surfaces en cultures de printemps, encouragées par les subventions, augmentent (tournesol, maïs, betterave) et laissent la terre à nu en hiver. Enfin, la destruction des plantes adventices par les herbicides laisse le sol à nu entre les plants cultivés.
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les zones détruites par les incendies ("écobuage") sont particulièrement exposées à l'érosion, tout comme les défrichements.


De 5 à 10 millions d'hectares de terres agricoles disparaissent chaque année dans le monde du seul fait de l'érosion et de l'épuisement avancés des sols.
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On estime à 7,6 millions de tonnes les pertes de production céréalière chaque année à cause de l'érosion des sols. À ce rythme, et si rien n'est fait, d'ici 2050 l'érosion des terres entraînerait une baisse de la production de céréales de 253 millions de tonnes. Cette perte due à l'érosion correspondrait à la disparition de toutes les terres agricoles de l'Inde soit 1,2 millions de kilomètres carrés.
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L'épaisseur moyenne des sols aux États-Unis était de 23 cm il y a 200 ans contre 15 cm (!) de nos jours.
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Entre 200 et 1000 ans sont nécessaires pour reconstituer naturellement 2,5 cm de terre.
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3 % des terres sont modérément ou fortement dégradées. Un phénomène de fatigue des sols se produit en France, en Europe et dans le monde, mesuré notamment par la chute importante du taux de matière organique dans le sol, passé de 4 % en 1950 à 1,4 % en 2015.
Sols vivants
L’agriculture peut s’inspirer de la forêt pour recréer les mécanismes agroécologiques qui assurent le maintien de la fertilité des sols, évitent les pertes et les pollutions et conservent les nutriments et les habitats dont la biodiversité fonctionnelle des sols ont besoin.


La diminution du travail du sol et l'utilisation des couverts végétaux permanents sont les clefs de la revitalisation des sols. Ceux-ci retrouvent un équilibre, une activité biologique vitale, une fertilité naturelle. Les plantes sont en meilleure santé (réduction du besoin d'intrants chimiques), et retrouvent leurs qualités nutritionnelles.
Les arbres et les haies sont également des éléments clefs dans cet équilibre. Leur impact sur la santé du sol est important: apport d'humus stable, réduction de l'érosion, création de biotopes et de corridors écologiques.
Les arbres restituent de la matière organique via les feuilles qui tombent au sol et la décomposition des racines : 40 % de la biomasse d’un arbre retourne au sol chaque année. Aussi, les racines structurent le sol, facilitant son activité biologique. Ces synergies améliorent la fertilité du système.
Rapport de l'ONU (août 2010)
Rapport de la FAO (décembre 2015)
L’association arbre-culture augmente le rendement global de la parcelle
Outre l’amélioration de la qualité de la production issue d’une symbiose naturelle retrouvée, l’ INRA a mesuré qu'une parcelle agroforestière d’1 ha produit autant de bois et de produits agricoles que 0,8 ha d’agriculture et 0,6 ha de forêt séparés, cela sans avoir recours à des intrants supplémentaires.


Rendement global de l'exploitation augmenté par la production continue de bois
Cette intensification de la production résulte d’une meilleure utilisation des ressources: la lumière, l’eau et les engrais sont prélevés plus efficacement grâce à un étagement des cultures et de leurs systèmes racinaires de profondeurs variées, sans oublier une occupation du sol permanente… Les arbres et les cultures créent un système de complémentarité : l’arbre remonte par exemple l’eau et les minéraux des couches profondes du sol pour les remettre à disposition des cultures de surface.
En outre, les arbres créent un microclimat sur la parcelle qui protège efficacement les cultures et les animaux des stress thermiques et hydriques. (La température sous la canopée est augmentée en hiver etréduite en été.
L’arbre permettra d’amortir les accidents climatiques, (inondations, grêle, tempêtes, sécheresses, canicules) en partie responsables de la stagnation des rendements des céréales en Europe.
Sources : http://www.inra.fr/Grand-public/Agriculture-durable

L'arbre permet de diversifier la production agricole
L’agroforesterie ouvre l'exploitation à de nouvelles formes de production:
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Bois d'oeuvre
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Déroulage
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Bois de chauffage
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Bois énergie
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Supplément de fourrage
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Nouvelles forme de litière
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Production de fruits
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Production d'extraits de végétaux
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Production de miel
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Attractivité touristique
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Amélioration de l'image des produits de la ferme
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Valorisation des produits de la ferme
Ces nouvelles productions peuvent engendrer des revenus non-négligeables et augmentent l'autonomie de l'exploitation ... tout en protégeant les ressources:
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Atténuation du vent, les dégâts dûs aux tempêtes
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Atténuation des sécheresses, des inondations
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Réduction de l'érosion et de la perte de terre arable
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Création d'un micro-climat favorable aux cultures, et aux animaux: bovins, ovins, volaille, palmipèdes.
Les pollinisateurs
L'arbre, les haies, les bosquets, créent des biotopes favorables à la faune et aux pollinisateurs, indispensables à la vie !
L’abeille la plus connue est Apis mellifera qui est l’abeille européenne mais il en existe de très nombreuses, ne produisant pas toutes du miel, d’ailleurs. On les distingue en fonction de leur caractéristiques et de leurs modes de vie respectifs : sauvages, en solitaires, mellifères, en colonies. Elles ont cependant une caractéristique commune, elles sont toutes des pollinisatrices. Elles parcourent la campagne dans un rayon pouvant atteindre 5 km autour de la ruche.
La mortalité des abeilles est un véritable danger pour la survie des espèces végétales et notre alimentation.
Une étude de 2016 montre que les rendements agricoles augmentent avec le nombre mais aussi la diversité des pollinisateurs: aux côtés de l'abeille domestique, les espèces sauvages (abeilles sauvages, bourdons, osmies, mégachiles) ont donc un rôle très important. Les pollinisateurs sont ainsi une source déterminante pour l’humanité (et pour de très nombreuses autres espèces) de services écosystémiques; ils contribuent aussi aux processus d’évolution adaptative face à la sélection naturelle et aux changements globaux.


La pollinisation n’est rien d’autre que la fécondation, et donc la reproduction des fleurs permettant la production de fruits puis de graines, et par conséquent la pérennité des plantes. Pour ce faire, les pollinisateurs transportent, en butinant, l’élément mâle, le pollen d’une fleur, sur l’élément femelle, le pistil d’une autre fleur. Un seul insecte peut visiter ainsi 700 fleurs par jour !
Les quelques 250.000 à 300.000 espèces de plantes à fleurs (sauvages et cultivées, à vocation alimentaire ou ornementale) qui constituent 70 % du règne végétal ont besoin d’une aide extérieure autre que le vent pour transporter le pollen en vue de la fécondation. Et pour attirer les insectes pollinisateurs, les plantes secrètent un liquide sucré : le nectar, dont se nourrissent les abeilles en même temps qu’elles récoltent le pollen.
Restaurer leur biotope aide les pollinisateurs à vivre et faire le travail indispensable de pollinisation!
Les arbres pour lutter contre le dérèglement climatique
Le carbone se retrouve en excès dans l'athmosphère (effet de serre) mais se raréfie dans les sols. Pourtant, il fait partie intégrante de la fertilité de celui-ci.
La matière organique du sol est composée d’environ 50 à 58% de carbone. Comme vu plus haut, le taux de matière organique a chuté dans les sols européens, (de 4 à 1,5% en moyenne) principalement à cause des pratiques culturales et de la conversion croissante des prairies en terres cultivables. Cette chute a des conséquences sur l’activité biologique et la fertilité des sols, et donc sur les rendements des cultures. Or un sol vivant, riche en carbone, induit un cycle vertueux : bonne santé des plantes et qualité nutritionnelle des productions, diminution des besoins en intrants, augmentation des rendements, augmentation des niveaux de biodiversité, etc.
En préalable, il est intéressant de rappeler ce qu’est la photosynthèse. Il s’agit du processus bioénergétique permettant aux végétaux et à certaines bactéries de synthétiser de la matière organique à partir de l’eau, de l’air, du sol et de l’énergie solaire.
Voici l’équation générale de cette réaction :
6CO2 + 12H2O + 675Kcal > C6H12O6 + 6O2 + 6H2O

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L’eau puisée par le végétal est scindée (en 2 Hydrogène et 1 Oxygène) afin de fabriquer des sucres, de l’oxygène « neuf » et de l’eau elle aussi « nouvelle » (ZÜRCHER).
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> 99% de la matière solide de l’arbre provient du CO2 atmosphérique ! Les arbres sont donc d’excellents puits de carbone.
Ces capacités nous démontrent une fois de plus que l’arbre est un allié de premier ordre sur le chemin de la durabilité.
Voici l’équation de photosynthèse appliquée à la fabrication du bois, matériau composé de cellulose, d’hémicellulose et de lignine, ces tissus étant eux-mêmes issus des sucres végétaux (C6H12O6) :
1851 Kg CO2 + 1084 Kg H2O + Energie solaire à 1000 Kg de bois + 1392 Kg O2 + 541 Kg H2O
La création d’une parcelle agroforestière conduit à stocker annuellement entre 1 et 5tC/ha pour des densités comprises entre 50 et 100 arbres/ha (Dupraz C. 2007) c’est à dire plus qu’un hectare forestier moyen, estimé à 1 tC/ha/an (Chevassus au Louis 2009).

Le maintien sur les parcelles d’une couverture végétale permanente entraîne le stockage de 1,5tC/ha/an (CHICAGO CLIMATE EXCHANGE 2008).
A travers ces deux techniques (Couverture permanente et agroforesterie), il devient possible de stocker de 2.5 à 6.5 tonnes de carbone par hectare chaque année. Cela représente une captation biologique de 9 à 24 tonnes de CO2 atmosphérique par hectare et par an!
Les arbres permettent ainsi non seulement d’atténuer les effets du changement climatique mais participent aussi à la recapitalisation des sols en carbone, élément capital dans les cycles biogéochimiques et source de fertilité.
Le schéma ci-dessous montre de cycle du carbone selon la pratique culturale d'une parcelle agricole.

Une double (voire triple) culture annuelle restitue une quantité importante de carbone au sol sous forme de matière organique.
L’arbre renforce ce cycle vertueux qui transforme le Co2 atmosphérique en matières fertiles pour les sols (racines, branches, feuilles qui sont transformés par les micro-organismes du sol - microflore et microfaune).
En conclusion, la production alimentaire est maintenue et la fertilité du sol est augmentée par un retour du carbone au sol, et l'arbre stocke du carbone sous forme de bois.
L'arbre oeuvre ainsi doublement à lutter contre le dérèglement climatique.

Les autres services rendus à la collectivité
Les services rendus par les arbres ne bénéficient pas seulement à l’agriculture, la biodiversité et la qualité paysagère ; de nombreuses activités territoriales tirent également parti de leurs services:
- la gestion de l’eau à l’échelle des bassins versant est très sensible à l’activité et aux pratiques agricoles
- la gestion de la nature dépend des habitats disponibles et de la continuité écologique
- la restauration humaine profite de produits de qualité, issus de filières durables
- les loisirs et activités de pleine nature (chasse, pêche, randonnée …) dépendent directement de l'environnement
- la pollinisation et la pérennité de l’apiculture est dépendante de la disponibilité de nourriture et d’abris pour les pollinisateurs: couverture végétale basse, couverture arborée, cortège floristique en abondance).
Les enjeux du bois
Outre les enjeux cités précedemment, les besoins en bois ne pourront être satisfaits uniquement par les plantations forestières. Visant l’équilibre entre couverture du sol et espace de production alimentaire, l’agroforesterie permet de recapitaliser un potentiel de production au cœur des parcelles, sans recourir à l’exploitation de nouvelles surfaces. Elle répond pleinement aux objectifs de la PAC, de la directive Nitrate, Plan Carbone, Trame Verte et Bleue… . L’agroforesterie apporte des éléments de réponse aux grands enjeux environnementaux et sociétaux actuels concernant le coût de potabilisation de l’eau, les dégâts sanitaires des produits chimiques, le prix élevé des intrants fossiles, la demande d’énergie renouvelable…
Le développement des techniques :
Les expériences de terrain et les recherches menées par différents centres et instituts ont testé des systèmes enrichis et optimisés, sur la base des pratiques traditionnelles. Si les premiers projets consistaient surtout à réaliser des alignements mono-spécifiques d’arbres, l’agroforesterie telle qu’elle est développée aujourd’hui fait appel à une diversité d’essences, de techniques, de types d’aménagement ou de tailles des arbres, qui permettent d’allier production de biomasse et protection de l’environnement. La nouvelle génération d’agroforesterie allie plantations plurispécifiques, valorisation de l’existant, régénération naturelle des ressources sous-exploitées: restauration et création d’arbres têtards, régénération des ligneux en bords de cours d’eau ou de voiries, introduction de bandes de taillis linéaires.
Complémentaires à la gestion de l’arbre, les techniques de conservation des sols (techniques culturales simplifiées, couverts végétaux, semis directs..) permettent de copier le fonctionnement des écosystèmes naturels et recréent de la vie dans les sols, rendant ainsi de nombreux services comme vu au chapitre y afférent.
Tous les types de production sont compatibles avec l’agroforesterie, en agriculture conventionnelle comme en agriculture biologique : grandes cultures, viticulture, maraichage, élevage… Feuillus, épineux ou fruitiers, chaque projet est raisonné en fonction des besoins et objectifs de l’agriculteur et de la société.
On comprend par contre que les parcelles agricoles déconnectées (sans vie) ne sont pas compatible avec la notion de durabilité!


Sources:
Rapport de l'ONU (août 2010)
Rapport de la FAO (décembre 2015)
CHRISTIAN DUPRAZ et FABIEN LIAGRE , Agroforesterie, Des arbres et des cultures. Editions France Agricole, 2011.
ROBERT ELGER . Agroforesterie, Les jardins oasis. Rustica éditions, 2016.
CHRISTIAN de CARNE CARNAVALET, Biologie du sol et agriculture durable. Editions France Agricole, 2015.
Associations Arbres & Paysages, EURAF, L' Association Française d'Agroforesterie, Prom'Haie, AFAC, AP32.
MASANOBU FUKUOKA, La révolution d'un seul brin de paille. Guy Trédaniel éditeur.
ELEA ASSELINEAU et GILLES DOMENECH, De l'arbre au sol, les BRF. Edition Rouergue.
JEROME GOUST, Les arbres fourragers, Ed Terran.
CHRISTIAN COGNEAUX, Plantes des haies champêtres. Ed Rouergue.
REGIS AMBROISE et MONIQUE TOUBLANC, Paysages et agriculture. Ed Educagri.